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Notre foi interrogée par Jésus fidèle à sa culture juive

Texte de référence

 

 

Pour une création nouvelle - © Virginie Lecomte

 

Interview de Claire Ly

SPIRITUALITÉ ORIENTALE ET JUSTICE

 

 

 

 

_ Comment avez-vous découvert la question de la justice ?

En Asie, la femme n’a pas vraiment une place importante : c’est une culture plutôt patriarcale. C’est ainsi que je n’avais pas le droit d’ouvrir un compte en banque ou de partir en mission professionnelle sans l’accord de mon mari. L’homme et la femme ne sont pas non plus à égalité au plan sexuel : j’étais bien contente que mon mari se contente de filles de joie sans avoir de concubine attitrée ; un ami Français lui a dit : « Si votre femme faisait pareil, que diriez-vous ?... » Dans mon travail, mes collaborateurs me parlaient souvent en français parce qu’en cambodgien, je se dit votre serviteur : le dire à une femme les aurait rabaissés ; le français permettait une égalité et cela me convenait. Je me demandais pourquoi il en était ainsi, mais je ne me révoltais pas. Je me disais qu’autrefois (12-13e siècles), avant Angkor, c’était le matriarcat (il en reste des mots cambodgiens désignant le femme comme le chef), et que le patriarcat était la revanche des hommes.

Le bouddhisme Theravada, dans lequel il faut être un homme pour pouvoir être libéré du cycle des réincarnations (samsara) et atteindre le nirvana, rejoignait ce patriarcat culturel. Mais ce n’était pas une question de supériorité masculine. C’est que la femme porte la vie et que l’espérance du bouddhisme n’est pas dans cette vie, mais l’espérance d’en sortir enfin.

Tout cela me posait question comme femme khmère bien située dans sa culture.

Après, la révolution communiste khmère est arrivée. Elle proclamait l’égalité entre hommes et femmes : ce que je souhaitais. Elle abolissait la polygamie (j’étais « épouse de 1er rang » et seule épouse ; mais mon mari aurait pu en avoir de 2e, 3e et 4e rang). Enfin ! Mais dans la misère du camp de rééducation par le travail, l’humour d’un vieux paysan m’a fait sourire. Je peinais, et lui, me voyant revenir épuisée : « Tu vois, tu veux être égale de l’homme, tu dis travailler comme un homme. Mais tu as pensé à ça ?... » Je ne m’y attendais pas ! En même temps, je dois ma survie à ma condition de femme, sinon j’aurais été fusillée : la femme est réputée ne pas aller très loin, ne pas savoir penser par elle-même. De même, je n’ai jamais été fouillée à corps : c’est un déshonneur pour un homme de toucher une femme (à moins de coucher avec elle).

              L’éducation de mon père m’avait persuadée que mon corps de femme était une erreur de la nature. Il me l’a toujours répété. C’est que la compréhension de la condition féminine n’est pas figée une fois pour toutes. Elle fluctue. La femme a aussi un peu de l’homme en elle. Un jour ou l’autre, elle peut devenir un homme (dans une autre vie). Selon mon père, tu peux avoir un corps de femme et une « tête masculine » (c’est-à-dire savoir mettre tes émotions à distance, avoir plus de logique intellectuelle). J’ai toujours compris ainsi la différence entre les deux sexes. Je prenais acte de ma condition féminine, j’en pointais l’aspect positif et ne criais nullement à l’injustice.

              Par contre, la condition humaine me révoltait quand je pensais à l’injustice. C’est au camp de rééducation que j’ai pointé ma faiblesse de femme : elle me faisait basculer dans l’émotion de la haine (les trois « poisons » du bouddhisme sont l’avidité, la haine et l’illusion : l’émotivité). Je le savais. Là, ma « tête masculine » ne tenait plus. J’étais colère, haine et révolte devant cette violence instituée en violence étatique. Je basculais dans quelque chose que je savais être mauvais. Il me fallait à tout prix trouver une porte de sortie… avec ma « tête masculine ». Comment ? Par la construction d’un objet mental : le dieu des Occidentaux, qui pour moi n’existait pas mais qui me servait de bouc émissaire et me permettait de vider le mauvais en moi. Et c’est là que j’ai découvert ma féminité jusqu’au bout : j’ai pointé une grande émotion, propre aux femmes selon le bouddhisme ; elle m’a renvoyée vers « quelque chose » d’innommable, d’indicible. Et là, ma « tête masculine » ne savait plus !

C’est ce qui a ouvert la porte à une autre aventure. Le « Dieu des Occidentaux »va d’abord me relier à la première des « nobles vérités » du bouddhisme : « Frères et sœurs dans la souffrance » (aujourd’hui, je crois que cette « noble vérité » constitue la première relation avec mon humanité profonde, qui souffre). Et c’est cette relation qui m’a permis de prendre de la distance par rapport à mes propres souffrances, en les accueillant : les bras ouverts dans la souffrance, comme le Christ.

 

_ Comment avez-vous découvert un rapport entre la justice et la spiritualité, la religion, la foi ?

Pour moi, la justice fait partie de la foi parce que je crois que je peux construire mon être de femme avec ma « tête masculine ». L’harmonie entre les deux est dans le fait que je comprends que je fais partie de quelque chose de plus grand que moi, qui me permet de faire cette liaison et de me connecter à tout le peuple khmer. Ainsi, mon histoire n’est pas que personnelle, elle appartient à tout un peuple.

Dieu s’est incarné, il a pris notre condition humaine. Donc, dans ma condition de femme, il y a quelque chose qui me dépasse. Ce qui a fait « tilt », pour moi, c’est la façon dont j’ai ressenti le personnage de Jésus de Nazareth quand j’ai lu l’évangile. Dans le bouddhisme, l’être humain est grand : lui seul peut se libérer du samsara (le cycler des réincarnations). Bouddha était un homme qui a découvert les moyens de se libérer : l’éveil. Mais la tradition le décrit comme un homme si parfait qu’il n’a plus rien d’humain. Comme femme, avec mes émotions, je n’arriverai jamais à cet idéal-là. Quand j’ai commencé à lire l’évangile, j’ai trouvé Jésus de Nazareth « Dieu », mais si humain : il pleure, se met en colère, etc. : toutes les faiblesses de l’Homme ! Il est devenu plus proche de moi que Bouddha. Par toutes ses faiblesses, il va me dire que c’est à partir de mes faiblesses que, peut-être, j’arriverai à accéder à ce qui est plus grand. Pour moi, la justice et la foi vont ensemble. Cela a été un « clash », pour moi. Mon corps de femme et ma « tête masculine » étaient réunis.

 

_ Voyez-vous des germes de cette justice dans la tradition spirituelle orientale ?

Oui. Dans le bouddhisme, on est amené à comprendre que toute chose est interconnectée. Cela permet d’adoucir la notion du karma (tout acte a ses conséquences) : l’acte n’est pas isolé, il y a des conditions qui m’y ont amené ; cela me permet de ne pas tomber dans la désespérance.

Je pense qu’il faut interpeller les bouddhistes, les inviter à réfléchir plus profondément à cette interconnexion et au karma. Sinon, comment se sortir du traumatisme vécu au Cambodge avec les Khmers rouges ? J’aimerais faire quelques pas avec eux dans ce sens-là.

 

_ Comment êtes-vous impliquée dans cette recherche spirituelle de la justice ?

La question n’est pas facile ! Quand je suis retournée a              u Cambodge, j’ai senti au fond de moi qu’être chrétienne et catholique me coupait un peu de mon peuple : ça les fige... Il faut beaucoup de patience et de temps pour entrer vraiment en conversation, en vérité, avec les bouddhistes. Il y faut bien une semaine… et encore, j’ai la tête asiatique, je connais assez bien le bouddhisme ! Il leur faut le temps de comprendre que je ne fais pas une stratégie avec eux.

En 2009, je suis allé aux audiences du CETC (Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens), le tribunal international qui juge certains anciens khmers rouges. Que défend la justice du tribunal international ?... J’ai vu Duch, l’accusé du SS 21, avec toute sa dignité d’être humain, alors que les victimes perdaient la face, selon la tradition khmère, parce qu’elle se laissaient entraîner dans les émotions. Cela, les étrangers ne l’ont pas vraiment compris. Me considérant dans le camp des victimes, j’ai perdu la face avec eux.

Que cherche ce tribunal ? A punir les coupables. Mais la justice, ce n’est pas que ça. Ne doit-elle pas, aussi et d’abord, redonner à chacun la chance de pouvoir vivre ensemble ? Elle promeut l’égalité de tous devant la loi, oui. Mais elle doit aussi protéger les plus faibles ; et elle ne leur a pas donné les moyens de garder leur dignité. Les observateurs occidentaux disent que c’est fait exprès pour laisser les émotions telles quelles. Mais…

Après un tel traumatisme, pour la chrétienne que je suis aujourd’hui, le premier rôle est que la justice essaye de dire, de faire pressentir une certaine idée de l’Homme. Il faut en quelque sorte ouvrir, pointer, un ciel nouveau pour une terre nouvelle. Et je crois qu’on ne peut pas le pointer sans la contribution des autorités et des forces spirituelles (le bouddhisme en l’occurrence). En référence à l’Occident laïque, le tribunal international n’a pas osé. C’est un manque énorme dans l’acceptation de l’irréparable, qui doit conduire ces peuples à une ouverture, à une espérance.

 

_ Et en France ?

Au Cambodge, j’ai remarqué que le bouddhisme ne se préoccupe que des cérémonies religieuses et des traditions. Ils ont des excuses : beaucoup de grands maîtres ont été massacrés. Mais l’Église catholique de France actuelle a tendance à faire pareil : cérémonies, institutions, traditions… Alors ?

En France, j’ai pointé un décalage culturel important au plan de la foi. En faisant des conférences un peu partout, j’ai compris, constaté, que la jeune génération qui reste dans l’Église de France se préoccupe plus de comment se réaliser, comment prier, comment être chrétien (je veux parler de la religion), comment être bien dans sa peau, pour soi-même. Jésus n’est pas vu comme un libérateur. Ils disent : ‘Aujourd’hui, on a beaucoup de liberté : on a besoin de quelqu’un qui nous donne des directives’.

Je ne juge pas. Mais quand ils arrivent au Cambodge… ce n’est pas ce dont il a besoin ! Le Cambodge a besoin de Jésus libérateur : libérateur de cette pauvreté qui abîme l’Homme, libérateur de la femme enfermée dans la culture patriarcale (tout comme dans le confucianisme). Je me demande si la jeune génération chrétienne de France au Cambodge sait encore en parler ; par exemple en disant que si Jésus est un homme, c’est simplement historique et cela ne signifie pas que Dieu soit masculin.

Ce besoin de libération est instrumentalisé par les évangéliques : ce n’est plus Jésus libérateur, c’est Jésus guérisseur. Ce Jésus-là met, enfonce l’Homme dans des émotions et des superstitions condamnées par le bouddhisme et la culture khmère. Cela me fait profondément souffrir. Quelquefois, au Cambodge, j’ai honte de dire que je suis chrétienne…

Mais attention ! Le bouddhisme ne lutte pas franchement contre l’animisme populaire. Il le contourne en rendant toutes ces divinités dérisoires. Cela ne se voit pas tout de suite. Par exemple : les Khmers rouges eux-mêmes avaient peur des génies et ils ne sortaient pas la nuit… moi, si ! et je pouvais aller pêcher du poisson pour manger. Ou encore, on permet d’offrir au génie une oreille de cochon plutôt que le cochon entier, ou de l’eau que l’on présentera comme du vin : c’est une dérision ; les génies croient ce que nous leur disons, ils ne sont pas plus forts que nous…

J’ai l’impression que mon Église de France est trop prise dans des problèmes institutionnels (le manque de prêtres etc.) pour avoir encore un espace de résonance permettant d’accompagner des cultures traumatisées par la violence.

 

 

Les photos sont de Claire Ly

 

 

 


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