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Visionnaire de l'invisible
La littérature

‘De l’âme et de son destin’
Victor Mancuso
Albin Michel 2009

 

Ne pas confondre inculturation et toilettage


Philosophe et théologien, Victor Mancuso est enseignant de théologie moderne et contemporaine auprès de la Faculté de Philosophie de l'Université San Raffaele de Milan. Il est marqué par le décalage criant qu’il perçoit entre les sciences et mentalités actuelles d’une part, et d’autre part le discours classique de l’Église concernant ce qu’on appelle les « fins dernières » : résurrection de la chair, fin du monde et jugement dernier, enfer, paradis, purgatoire… Il cherche à réviser ces notions pour les rendre crédibles à l’homme d’aujourd’hui dans son livre intitulé ‘De l’âme et de son destin’ paru chez Albin Michel en 2009. Dans ce but , il prend les choses à partir de ce qu’il considère comme la racine de la question et la source du malaise : la notion d’âme, qu’il pense injustement délaissée par les catholiques (cette partie occupe la moitié du livre).

Reconnaître ce décalage, oser lui chercher des remèdes dans une double fidélité à la foi de l’Église et à notre humanité, relève d’une belle démarche de lucidité et de courage, de confiance et de liberté. Chacun peut s’en inspirer. C’est sans doute le grand mérite de ce livre.

Voilà pourtant un bien curieux mélange de contestation et de classicisme. Son succès en Italie s’explique probablement par le contexte social d’un pays où l’Église a encore pignon sur rue. Au bout du compte, il s’avère plus décevant qu’éclairant pour le lecteur confronté de longue date aux questions radicales d’une sécularisation à la française, et au peu de cas qui est fait chez nous de la parole de l’Église sur elle-même ou sur sa foi.

Tout en se situant résolument en chrétien catholique sincère et convaincu, l’auteur s’octroie quelques libertés d’apparence audacieuse quant à la formulation ordinaire de certains points de la doctrine catholique concernant l’âme et les « fins dernières ». L’audace n’est ni aussi grande ni aussi juste qu’elle peut le paraître.

- Vito Mancuso prend ses distances à l’égard d’un magistère ecclésial souvent sujet à variations, ou peu regardant sur les contradictions inhérentes à son exposé classique de telle doctrine, comme celles du « péché originel » ou de l’enfer éternel. Il entend passer de l’autorité qui s’impose comme telle aux lumières de la raison humaine, capable de rendre compte par elle-même du bien fondé des choses. On voit l’intention, louable. Mais la théologie ne consiste pas à balancer entre fidéisme et rationalisme. Elle met en œuvre la raison pour chercher la cohérence de la foi chrétienne avec elle-même et avec l’environnement culturel dans lequel elle est vécue.

- Plus subtilement, l’auteur critique fortement la prise de distance de la théologie et de la catéchèse actuelles à l’égard de la métaphysique grecque – platonicienne en l’occurrence. En cela, il rejoint Benoît XVI qui, au cours d’une intervention qui a connu son heure de célébrité (Discours du Pape Benoit XVI à Ratisbonne, le 12/09/2006.), a considéré le développement de la pensée chrétienne, lorsqu’elle est passée de la culture sémitique à la culture gréco-latine, comme une référence indépassable et nécessaire, s’imposant désormais à toutes les cultures aux côtés de l’Écriture : cette inculturation originelle de l’Évangile serait ainsi bien plus qu’un précieux modèle, un précieux « paradigme », de toute inculturation de la foi chrétienne. À ce sujet, l’auteur est plutôt virulent ; il va jusqu’à lâcher que l’âme est « tombée dans l’oubli » « à la suite du progressisme postconciliaire et de son positionnement bibliciste croissant » (p.105). Pareille position théologique est loin de faire l’unanimité. On peut ne pas la partager. En plus, elle conduit souvent à des raisonnements métaphysiques, essentialistes, devenus bien étranges pour les mentalités actuelles - ce qui est paradoxal dans la visée de l’auteur -, et d’autant plus rarement convaincants qu’ils méconnaissent les complexités de l’histoire du salut. C’est probablement ce qui lui fait lire l’Écriture comme un recueil de vérités - pas toujours cohérentes -, et non comme une relecture située dans toute une histoire : exit plus d’un siècle et demi d’études bibliques, exit la condition historique de l’Église (cf. Lumen gentium n°48, §3), exit l’apport des sciences humaines en matière de symboles.

- Du coup, on ne sera pas trop surpris que la recherche de Vito Mancuso ne soit finalement guère plus qu’une adaptation des doctrines classiques aux connaissances scientifiques actuelles, qu’elle n’évite pas toujours les risques du concordisme. Elle nous laisse assez loin de ce qu’on appelle l’inculturation. L’esprit d’une démarche d’inculturation est plutôt de laisser résonner le message évangélique et la figure de Jésus dans une culture nouvelle et, par là, d’en découvrir de nouvelles colorations, de nouvelles facettes, de nouveaux reliefs, peu ou pas déployés jusqu’ici… ce qu’ont fort bien fait, justement, mais non sans risques, tensions et conflits, les premières générations chrétiennes de culture gréco-romaine ; à commencer par Paul, qui était à cheval sur l’univers sémitique et l’univers gréco-romain. C’est tout autre chose qu’un simple toilettage rationnel de formulations doctrinales déjà connues. La recherche d’un Bernard Sesboué (Cf. Esprit et Vie n°217, de novembre 2009.) en témoigne, et avec quelle force.

Par exemple, jusqu’à quel point faut-il sauver « l’âme » pour exprimer la transcendance qui nous habite, l’émergence de notre liberté ?… L’anthropologie moderne le dit autrement, à sa façon : on peut tout de même essayer, au moins, d’en jouer le jeu. Quant à prétendre que cette émergence implique une immortalité, il y a un pas qui ne convaincra pas grand monde. Par contre, Vito Mancuso donne à penser quand il souligne quatre « discontinuités cosmiques » (p.125) : le passage du point cosmique à l’explosion du Big Bang, celui de la matière inerte à la vie, celui de la vie à l’intelligence et celui de l’intelligence à la spiritualité. Pourquoi, en effet, exclurait-on a priori la possibilité d’un cinquième passage à une autre dimension qu’on appelle immortalité ou éternité ? C’est sur ce type de réflexions, ancrées dans la culture contemporaine et souvent d’inspiration teilhardienne, que Vito Mancuso est le plus suggestif, le plus intéressant ; son livre en est parsemé. Malheureusement, quand il innove, il brade trop vite des dimensions essentielles de notre foi : par exemple, à propos de la résurrection de la « chair », son recours à l’idéalisme platonicien ne fait pas droit à un salut de ce que « crée » l’histoire humaine, individuelle et collective.

Reste qu’à côté d’affirmations trop rapides ou mal fondées, de questions mal posées ou mal résolues, de passages obscurs, on trouve de belles intuitions et quelques belles fulgurances. Reste surtout un amour de l’Église et de l’Homme d’aujourd’hui, touchant parce que profond et libre à la fois. Cet amour a saveur évangélique. Il devrait inspirer toutes nos recherches pour vivre et dire la vérité de l’Évangile dans la vérité de notre humanité. Ce n’est pas sans raison qu’en dépit de certains désaccords, le cardinal Carlo Maria Martini, archevêque de Milan de 1980 à 2002, rend hommage à son « très cher » ami Vito dans la lettre-préface qu’il lui offre.

                                                                                                              Jacques Teissier



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Illustration de © Robert de Quentin