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L'inculturation / Réaction d'internaute

 

Curé d’une paroisse au cœur d’une cité arc en ciel
         

          Mon évêque m’a nommé curé de l’unique paroisse d’une ville qui compte quelques 50. 000 habitants. Comme je ne connaissais pas la ville, ma première réaction a été de m’y promener, tout simplement. Ce qui m’a tout de suite sauté aux yeux, c’est la diversité des personnes : leur couleur de peau, leurs habits, mais aussi leur langue. J’ai aussi découvert que la ville n’avait pas seulement comme lieu de prière l’église principale et les trois églises de quartier, mais aussi trois temples qui rassemblent des communautés protestantes différentes, une synagogue ainsi qu’une mosquée et deux autres lieux de prière fréquentés par les musulmans : l’un rassemble les musulmans originaires d’Afrique noire et l’autre les musulmans d’origine turque. Le centre m’a paru attractif au plan culturel avec un musée, un complexe de salles de cinéma, deux ou trois cybercafés, un conservatoire de musique et de danse ainsi que des salles de jeux vidéo pour les adolescents. Par contre, je n’ai pas repéré de théâtre. À midi, j’ai cherché un restaurant. J’ai découvert que le choix ne manquait pas: français, chinois, italien, tunisien, pakistanais, vietnamien… Il m’a fallu toute une autre journée pour jeter un coup d’œil aux deux grandes surfaces situées en périphérie, au quartier résidentiel du sud, aux quartiers populaires avec leurs petites maisons, leurs jardins ouvriers et leurs deux grands quartiers HLM… Ces deux jours de découvertes m’ont marqué profondément : dans cette ville moyenne de France, la terre entière était là, sous mes yeux, avec ses multiples cultures et ses diverses religions.
Le soir, j’ai noté mes découvertes sur mon carnet de route. J’ai médité sur cette affirmation du Concile qui nous rappelle Dieu a semé des germes de justice dans toutes les cultures et que Dieu parle à chacun en ami. Il me faudra être très attentif aux diverses cultures de cette cité qui est en train d’évoluer et me rappeler que le christianisme est impensable en dehors de son double lieu de naissance, Jérusalem et Athènes. Après ces deux jours, je me suis découvert non pas curé de la paroisse qui rassemble la communauté catholique, mais envoyé aussi à tous ces gens qui ont leur culture, leur religion, leur mémoire et leurs traditions. 
          Trois jours après, l’équipe pastorale s’est réunie. Elle est composée d’un diacre, de deux religieuses et de quelques laïcs et d’un prêtre auxiliaire chargé des paroisses rurales environnantes. Ils se sont présentés en ayant bien conscience de porter une véritable responsabilité dans la marche de la paroisse : catéchèse, présence auprès des malades, secours catholique, préparation au mariage ou au baptême, présidence des célébrations d’enterrement, chargé de la communication… Je leur ai demandé de me dire quelques mots sur leur environnement familial et de quartier. Les deux religieuses habitent le quartier HLM où il y a beaucoup de chômage chez les jeunes, en majorité d’origine maghrébine ou africaine noire et depuis peu, quelques jeunes venant de l’Est européen; la catéchiste a deux enfants adolescents qu’elle n’arrive pas à faire quitter l’ordinateur où ils "chattent" avec la terre entière ; le diacre a trois enfants adultes qui vivent en couple et qui ont des enfants : une est pacsé alors que les deux autres se sont mariés à l’Église ; le responsable du Secours catholique, un médecin à la retraite, à trois de ses enfants sur quatre qui vivent à l’étranger : une fille, infirmière au Soudan, envoyée par une ONG, un fils ingénieur à Singapour, fiancé à une chinoise, et le dernier, terminant ses études dans une université en Angleterre ; la responsable de la préparation au mariage, anesthésiste à l’hôpital, évoque rapidement les angoisses de ses collègues de gériatrie, confrontés à la demande pressante de certaines familles en faveur du "droit" à l’euthanasie. Je me suis présenté moi-même et je leur ai parlé de mes premières découvertes de la ville. 
          Le diacre a fait ensuite l’histoire de la paroisse. Avant, elle se composait de trois paroisses ; maintenant, les trois communautés sont regroupées autour de l’équipe pastorale,  chacune gardant une certaine autonomie selon la vie des quartiers. Il insiste : il semble important à tous qu’une certaine autonomie soit maintenue afin que la communauté chrétienne, présente dans chaque quartier, respecte son histoire et garde une certain proximité avec la vie de quartier, mais avons-nous les moyens de conserver ces trois lieux de culte ? Il me demande alors ce que j’en pense. Je leur exprime ma joie devant l’orientation de la pastorale : être proche des personnes, être solidaire d’un population. C’est cette proximité et la mission reçue du diocèse qui fera  l’unité de nos communautés. Nous sommes appelés appelé à être signe d’une Eglise qui dialogue avec la cité.
          La dame chargée de la communication prend alors la parole : " Je voudrais ajouter que nous cherchons à donner un autre visage à notre Église car nous trouvons qu’elle a trop de rides et manque d’ouverture. Nous soignons l’accueil, les temps de prière liturgiques, et nous tenons à manifester une solidarité avec les plus démunis. Mais, pour parler sans langue de bois, nous avons le sentiment de tourner un peu en rond. Nous avons entendu parler de nouvelles formes d’évangélisation par la constitution de cellules composées d’une dizaine de personnes. Et pourquoi ne pas faire des manifestations publiques pour rendre visible l’Église vivante aujourd’hui ? Nous pensons à un chemin de croix qui ferait une station à chaque point névralgique de la cité…" Je leur confie que je partage leurs soucis mais je ne résiste pas à poursuivre : « L’Eglise ne peut prétendre rejoindre tout le monde que si elle épouse les combats des hommes dans le monde et ici : le combat pour la justice, la défense et la promotion des droits de l’homme, la sauvegarde de la création, le respect de la vie, le soucis prioritaire des plus défavorisés, leur quête spirituelle. C’est pour cela que je trouve important votre soucis d’être accueillant, d’être solidaire de ce qui se vit dans les quartiers. »
          Le soir, je note ma joie de porter avec une équipe responsable la mission qui nous est confiée. Pourtant, la nuit, une fois couché, je ne parvenais pas à dormir. Quelque chose me troublait. Mais quoi ? En y repensant, j’ai peur que les remarques que j’ai faite sur la mission de l’Eglise paraissent à l’équipe bien théoriques. Les gens ne pouvaient qu’être d’accord intellectuellement avec ce que j’ai dit. Mais pratiquement ? Comment cette communauté, vivante mais un peu vieillissante (les membres du conseil pastoral lui ont dit que la moyenne d’âge des pratiquants, malgré une messe animée par des jeunes, était plus près de 60 ans que de 40 ans), comment va-t-elle manifester que l’Esprit Saint est largement répandu sur toute cette ville ?
 Et je repensais à mon premier curé. Il m’avait donné deux conseils : "N’oublie jamais que l’Esprit est au travail au cœur de l’humanité bien avant toi, depuis la naissance de l’homme. Et n’oublie jamais, au grand jamais, que l’homme que tu es avec ta culture, les traditions qui t’ont façonné… Tu n’es pas la référence culturelle et religieuse du monde. Il n’a jamais existé de christianisme chimiquement pur. " Le deuxième était encore plus pertinent : "Les gens ne croient qu’à ce qu’ils mettent au monde eux-mêmes. » Il est vrai comme l’a si bien écrit le père Geffré que « la mission permanente de l’Eglise, ce n’est pas l’extension quantitative des membres de l’Eglise comme si elle était au service d’elle-même. C’est bien plutôt, en dialogue avec tous les hommes de bonne volonté, de manifester et de promouvoir le Royaume de Dieu qui a commencer à s’inaugurer dés le premier instant de la création et qui continue d’advenir dans l’histoire bien au-delà des frontières de l’Eglise de la terre. »
Il faudra que je rencontre le responsable œcuménique pour poursuivre le dialogue avec les responsables des autres églises chrétiennes de la ville, voir avec eux comment ils perçoivent la mission des chrétiens dans cette ville et peut-être unir nos forces sur certains projets. Nous étions convenus avec l’équipe pastorale que j’irais avec l’un d’entre eux à la rencontre des responsables qui animent la cité avec cette question : « Quels sont vos projets et pourquoi les prenez-vous ? »
 J’ai fait la première démarche peu après. C’est avec un professeur d’histoire qui a fait partie de l’équipe pastorale que nous avons rencontré le délégué à la culture de la ville.  Il nous décrivit la situation de la population. A cause de son passé industriel qui a demandé beaucoup de main d’œuvre peu qualifiée pendant des dizaines d’années, la population est peu cultivée et subit actuellement le chômage de plein fouet. Aussi, nous dit-il, nous pensons qu’il est important que nous offrions à notre population des spectacles qui les fassent rêver, qui les distraient. Nous lui avons demandé s’il avait mis dans son programme des pièces de théâtre, des films qui affrontent les questions actuelles ou des films historiques, des débats sur les différentes cultures et qui peuvent susciter de la réflexion. Il nous confia qu’il y avait pensé mais qu’il n’avait pas encore pu créer une équipe pour y réfléchir. Nous avons parlé alors à une équipe composée des libraires, du responsable de la bibliothèque municipal et des cinéma et que nous étions prêt à y collaborer. Le professeur d’histoire se proposa d’en faire partie. Cette première démarche enchanta l’équipe. Aussi, nous avons décidé de poursuivre cette démarche avant de prendre toute nouvelle décision. N’est-ce pas la voie à prendre pour découvrir que ce que Dieu a ensemencé dans cette cité et que l’Esprit-Saint féconde ? Notre communauté est appelée à se faire dialogue avec tous et à se rejoindre deux et celles qui se mettent au service de la dignité des habitants de cette cité. L’équipe a adhéré à cette démarche mais en posant une question : Comment témoigner que cette notre foi en Jésus-Christ qui nous anime ?

 Un curé

 

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Illustration de © Robert de Quentin