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Visionnaire de l'invisible
Le Cinéma

 

L'Avenir
Réalisateur : Mia Hansen-Løve
Sortie : 6 avril 2016

 

 

Affiche du film : L'Avenir

       Nathalie aime passionnément son métier de professeur de philosophie. Son but ? Donner les clefs à ses élèves pour qu’ils puissent réfléchir par eux-mêmes. Mariée à un autre enseignant aux idées conservatrices, et mère de deux enfants désormais grands, elle doit s’occuper de sa mère, un ancien mannequin qui n’a plus toute sa tête. Nathalie s’est embourgeoisée et n’adhère plus forcément aux idées libertaires de Fabien, qui fut son élève. Elle peine à continuer à publier des ouvrages, maltraités par le marketing. Quand son mari la quitte et que sa mère décède, elle décide de prendre un nouveau départ et s’en va quelques jours dans le Vercors où vit Fabien avec des amis… Mia Hansen-Love a pensé à Isabelle Huppert dès l’écriture du scénario. Elle s’est inspirée de ses propres parents, professeurs de philosophie, pour imaginer le personnage de Nathalie. Les livres ont une place très importante dans le film. La cinéaste a reçu l’Ours d’argent de la meilleure réalisatrice lors de la Berlinade 2016.

Le film s’ouvre sur Nathalie (Isabelle Huppert) se rendant sur une île de Bretagne avec ses enfants et son mari, et corrigeant ses copies jusqu’au dernier moment sur le bateau, alors que sur le pont sa famille profite du paysage. Sujet : ‘’Peut-on se mettre à la place de l’autre ?’’… La balade qui s’ensuit est faite de dialogues cultivés (la musique sérielle, Chateaubriand…) et d’harmonie concrète. Puis le récit progresse pour retrouver tout le monde une dizaine d’années plus tard : les enfants se sont envolés du nid ; Nathalie, sans le savoir, va se retrouver en pleine révolution.  Autrefois communiste, elle invoque aujourd’hui dans ses cours, Jean-Jacques Rousseau ou Vladimir Jankélévitch, pour ‘’donner des armes aux jeunes gens’’. A côté d’elle, d’autres révoltes se préparent : grève des lycéens pour leur retraite, ‘’rajeunissement’’ de la collection de livres de philo qu’elle dirige par une équipe de designers soucieux de la rentabilité, changement de cap de Fabien, un de ses élèves préférés, qui part s’installer dans le Vercors. Et sa mère, qui ne supporte plus la solitude et l’appelle en pleine nuit ou fait venir les pompiers à tout bout de champ.

À travers le personnage de Nathalie (Isabelle Huppert), soudainement quittée par son époux (André Marcon), Mia Hansen-Løve aborde avec retenue et humour le sort parfois cruel des femmes qui, après quarante ans, seraient ‘’bonnes à jeter à la poubelle’’ selon l’héroïne. L’histoire de L’Avenir est bien celle d’un ‘’désastre’’, d’une catastrophe au sens fort du terme (où la vie et les habitudes du personnage basculent d’un seul coup), avenir que la philosophe se voit contrainte de méditer avec un calme étonnant. Plutôt que de sombrer dans un mélodrame, plein de cris et de larmes, ou encore dans une solitude silencieuse et fermée, l’ébranlement existentiel qui atteint de plein fouet le personnage se dévoile dans le corps même d’Isabelle Huppert, menacé par un déséquilibre constant : même les objets qu’elle manie, un bouquet de fleurs, une poêle à frire, se retrouvent toujours posés de travers, à deux doigts de la chute libre. Le stoïcisme plein de retenue de Nathalie plongée dans la tourmente, s’exprime avec humour et légèreté. Sa mère (Édith Scob au sommet de sa forme), atteinte de démence, devient ingérable pour sa fille : c’est un personnage décalé, à l’aplomb irrésistible et loufoque, capable de s’extasier devant le physique d’un jeune pompier alors qu’elle se déclarait, quelques minutes auparavant, aux portes de la mort. Ce tableau des malheurs de l’âge mûr sonne d’autant plus vrai qu’il garde jusqu’au bout la pudeur de la comédie. Last but not least, la cinéaste profite de ce personnage de philosophe pour dresser une savoureuse satire du monde de l’édition, où le mercantilisme semble bien avoir pris le pas sur la raison et la pensée.

Le film épouse le rythme de Nathalie, il marche au pas d’Isabelle Huppert, porté par les musiques choisies par Mia Hansen-Løve, de Donovan à César Franck. Tout est affaire de culture, de transmission, de générations, de maîtres et d’élèves, d’émotions, de sentiments, de ceux surtout que l’on se cache à soi-même et qui, si profondément enfouis qu’ils soient, finissent par resurgir. Et si, à l’écran, l’actrice semble en être surprise, c’est parce qu’à aucun moment elle ne paraît jouer. Isabelle Huppert est gracile et tangible, fonceuse et rapide, cassante et exigeante ; on jurerait que le film raconte sa propre histoire, tant la comédienne habite le personnage de tout ce qu’on croit connaître d’elle ; avec toutes ces nuances délicates qu’elle apporte toujours. À ceci près que cette femme appartient en propre à la parentèle de la réalisatrice, qui s’est inspirée de sa propre mère.

L’histoire de Nathalie est celle d’une illusion qui s’empare de l’héroïne, puis du spectateur, grâce à un brillant jeu de fausses pistes. Dès le début, nous nous faisons surprendre : alors que le jeune Fabien attend Nathalie à la fin de ses cours comme un soupirant, alors que les livres circulent entre eux comme un premier partage des âmes, c’est finalement le mari qui, soudainement, s’en va. Les pérégrinations de l’épouse délaissée laissent alors espérer au spectateur une rencontre nouvelle, la renaissance de l’amour. Mais là encore, le film déjoue les attentes du spectateur en accordant une place toute particulière à la vie intellectuelle de Nathalie, à l’adéquation entre sa vie et son métier. Les livres qu’elle lit sont en effet autant d’échos à sa propre existence qui la nourrissent et l’éclairent : Difficile liberté, d’Emmanuel Levinas, La Mort de Jankélévitch, lu au terme d’un séjour endeuillé dans le Vercors hivernal, ou encore Les Pensées de Pascal, dont Nathalie lit un passage aux funérailles de sa mère : ‘’L’Avenir semble compromis’’... Le scénario s’accomplit dans un dépouillement limpide qui montre la souveraine liberté de ce très beau personnage, enfin apaisé.

Extrait de l’entretien de Laure Adler avec Mia Hansen-Love, en janvier 2016, reproduit dans la fiche de l’association Française des Cinemas d’Art et d’Essais (AFCAE) :

L’Avenir est le portrait d’une femme qui enseigne et aime profondément son métier. Vous vous emparez d’un thème peu abordé au cinéma, qui pourrait être celui de la pensée. Le destin de Nathalie, sa force face à la rupture est indissociable de son rapport aux idées, à l’enseignement, à la transmission. Je ne pouvais pas aborder cela de manière anecdotique. Par ailleurs, ce qui a renforcé mon désir de filmer une prof de philo habitée par son métier, c’est le manque de liberté du cinéma dans la représentation des intellectuels et des processus contradictoires de la pensée. Il y a peu de films où l’on sait quels journaux lisent les personnages, à quelles idées ils sont attachés, les débats politiques qui les animent. J’ai toujours tenté d’inscrire mes personnages dans le monde, mais L’Avenir était pour moi l’occasion d’assumer pleinement la relation aux livres, à la pensée. Et l’on ne peut réduire cela à la description d’un environnement social. Il s’agit aussi d’une forme de précision, qu’on peut voir comme documentaire, mais aussi comme poétique : ça me touche d’entendre les noms des lieux que traversent les personnages autant que ceux des revues qu’ils lisent ou des chansons qu’ils écoutent. L’obsession de Patrick Modiano pour les noms, les lieux, les dates, comme des points fixes auxquels se raccrocher, est un trait de son inspiration auquel je m’identifie depuis toujours. C’est lié à notre besoin de mémoire, à la fragilité de la vie et au désir d’en garder la trace.

D’où vient Nathalie ? Comment s’est-elle construite dans votre imaginaire ? Elle vient en partie du couple de mes parents, de leur complicité intellectuelle, et de l’énergie de ma mère. Après, il y a la brutalité des ruptures et la difficulté pour beaucoup de femmes, à partir d’un certain âge, d’échapper à une forme de solitude, chose que j’ai eu, comme tout le monde, l’occasion d’observer.  J’ai écrit le film en pensant à Isabelle : Nathalie est donc devenue la rencontre entre ce qui est issu de mes souvenirs, et Isabelle… Plus j’ai avancé, plus j’ai pris conscience du lien entre l’enseignement de la philo, telle que je l’ai vécue à travers mes parents, et ce qu’est pour moi le cinéma. Ce qui m’a été transmis et que j’ai reproduit à ma manière, c’est la quête de sens, un questionnement constant. C’est aussi l’obsession de la clarté et le souci de l’intégrité. Dans le fond, pour moi, l’art ou la pensée sont deux chemins possibles vers une seule et même chose, qui est notre lien avec l’invisible. La force, le courage que nos interrogations, aussi angoissantes soient-elles, peuvent nous donner, sont au cœur de ce film.

 

 

Claude D’Arcier - Juin 2016

 

 


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