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Visionnaire de l'invisible
Le Cinéma

 

Les mille et une nuits
Réalisateur : Miguel Gomes
Sortie : 24 juin 2015

 

 

Affiche du film  "Les mille et une nuits"

      Dans un pays d’Europe en crise, le Portugal, un réalisateur se propose d’écrire des fictions inspirées de la misérable réalité dans laquelle il est pris. Mais incapable de trouver un sens à son travail, il s'échappe lâchement et donne sa place à la belle Schéhérazade. Il lui faudra bien du courage et de l'esprit pour ne pas ennuyer le Roi avec les tristes histoires de ce pays ! Alors qu’au fil des nuits l’inquiétude laisse place à la désolation et la désolation à l’enchantement, elle organise ses récits en trois volumes, dont chacun commence ainsi : « Ô Roi bienheureux, on raconte que dans un triste pays parmi les pays…»

Volume 1 : L‘inquiet (Sortie le 24 juin 2015)
Volume 2 : Le désolé (Sortie le 29 juillet)
Volume 3 : L’enchanté (Sortie le 26 août)

Le cinéma de Miguel Gomes est foisonnant et imprévisible. Il ne veut pas suivre une routine narrative. Chez lui, les personnages apparaissent et disparaissent, sautent d’un récit à un autre, d’une humeur à l’autre, entre joie et mélancolie ; peut-être l’incarnation de cette fameuse ‘’saudate’’, ce trait de caractère portugais, exprimant un certain mal-être, tiraillé entre la nostalgie et l’espoir.

Les Mille et une nuits amplifie cette démarche. Miguel Gomes continue d’y traiter son sujet fétiche : le Portugal. Il combine le passé et le présent selon le principe simple qui consiste à parler du pays actuel à travers les contes orientaux que Schéhérazade racontait au sultan Shahryar. En se basant sur des faits divers, glanés par une équipe de journalistes aux quatre coins du Portugal, il en fait un documentaire qui se mue en fiction, et le regard réaliste se change en poésie ou en fantaisie. Mille et une nuits qui se transforment en autant d’histoires nourrissant un flot d’images sur le Portugal contemporain.

Le premier volume, l’Inquiet. Où Schéhérazade raconte les inquiétudes qui s’abattent sur le pays : ‘’O Roi bienheureux, on raconte que dans un triste pays parmi les pays où l’on rêve de baleines et de sirènes, le chômage se répand. En certains endroits, la forêt brûle pendant la nuit malgré la pluie et, ailleurs, hommes et femmes trépignent d’impatience de se jeter à l’eau en plein hiver. Parfois, les animaux parlent, bien qu’il soit improbable qu’on les écoute. Dans ce pays où les choses ne sont pas ce qu’elles semblent être, les hommes de pouvoir se promènent à dos de chameau et cachent une érection permanente et honteuse : ils attendent qu’arrive enfin le moment de la collecte des impôts pour pouvoir se payer un sorcier qui ...’’ Et le jour venant à paraître, Schéhérazade se tait.

Le volume 2, Le désolé. Où Schéhérazade raconte comment la désolation a envahi les hommes : ‘’O Roi bienheureux, on raconte qu’une juge affligée pleurera au lieu de dire sa sentence quand viendra la nuit des trois clairs de lune. Un assassin en fuite errera plus de quarante jours dans les terres intérieures et se télétransportera pour échapper aux gendarmes, rêvant de putes et de perdrix dodues. En se souvenant d’un olivier millénaire, une vache blessée dira ce qu’elle a à dire, et qui est bien triste ! Les habitants d’un immeuble de banlieue sauveront des perroquets et urineront dans les ascenseurs, entourés de morts et de fantômes, mais aussi d’un chien qui …’’ Et le jour venant à paraître, Schéhérazade se tait.

Le troisième volume, L’enchanté. Où Schéhérazade doute de pouvoir encore raconter des histoires qui plaisent au Roi, tant ses récits pèsent trois mille tonnes. Elle s’échappe du palais et parcourt le royaume en quête de plaisir et d’enchantement. Son père, le Grand Vizir, lui donne rendez-vous dans la Grande Roue. Et Schéhérazade reprend : ‘’O Roi bienheureux, quarante ans après la Révolution des Œillets, dans les anciens bidonvilles de Lisbonne, il y avait une communauté d’hommes ensorcelés qui se dédiaient, avec passion et rigueur, à apprendre à chanter à leurs oiseaux… ‘’ Et le jour venant à paraître, Schéhérazade se tait.

Il y a donc le conte des Mille et une nuits et autant d’histoires différentes qui nourrissent le flux ininterrompu des images et des symboles. Le seul fil conducteur de cette pelote de vies mêlées est la condition humaine portugaise, dont les récits s’enchaînent pour raconter une histoire non officielle du Portugal, prise entre son austère réalité et ses folles espérances.

Dans le conte, Schéhérazade repoussait chaque matin la fin de ses histoires au lendemain pour que le sultan, tenu en haleine, accepte de surseoir à son exécution. En faisant à la fois le conte et les comptes de son pays, Miguel Gomes tente de faire de même. Ses Mille et une nuits relèvent la tête dans L’enchanté tout en redoutant que le couperet finisse par tomber.

Le carton de présentation des 3 volumes du conte avertit le spectateur – premier inquiet – que cette version des Mille et une nuits n’est pas une adaptation du livre. Si on s’en inspire de manière assumée, c’est pour l’idée du conte, pour sa structure. C’est Schéhérazade qui va nous raconter, à travers différentes fables, délicieusement grotesques, le déclin d’un pays. Les mille et une nuits de Miguel Gomes ne ressemble à rien de connu, c’est ce qui en fait une fable si imprévisible et réjouissante. Pourtant, le récit s’ouvre sur une double crise : celle, sociale, de l’impuissance des ouvriers devant la fermeture d’un chantier naval, et une autre, plus écologique, provoquant une attaque de guêpes tueuses. Il s’agissait ensuite pour le réalisateur et sa coscénariste de réinventer ces événements en les confrontant à une certaine mythologie locale et à la rêverie des habitants. Le résultat, énorme, a nécessité quatorze mois de tournage, dont on tire six heures de film, finalement réparties en trois fragments de deux heures chacun, qui sortiront à un mois d’intervalle sur les écrans français.

              Dans un pied de nez formidable à la crise, Gomes célèbre avec brio la force inouïe de l’imaginaire, seul rempart contre la barbarie d’une société qui n’en peut plus d’endetter ses enfants. Bienvenue donc dans un monde où les animaux, tour à tour, s’expriment et implosent, où les terres prennent feu sous le coup d’une déception amoureuse et où les politiciens ne peuvent plus arrêter leurs érections indécentes. Que choisir dans cette profusion d’histoires, de contes et de faits divers ? Gomes nous guide dans son œuvre avec des cartons chapitres, interludes qui jalonnent le film. Pour raconter la crise sans pathos, le réalisateur choisit de rire de l’austérité sans l’éloigner de sa réalité massive.

La réussite de ce parti pris tient au regard porté par le réalisateur sur ses personnages. Dans l’œilleton de la caméra, ils redeviennent des personnes, puisque filmés à hauteur d’homme. Le film traite avec un grand respect leurs rêves, leurs peurs et leurs désirs. Par exemple, la scène qui montre de jeunes ados s’envoyant des textos, prend leur histoire d’amour très au sérieux, malgré le coté grotesque de l’orthographe SMS. Dans un autre chapitre, le premier ministre dessine des licornes au lieu de donner son avis sur un problème politique et laisse les politiciens s’affronter et s’insulter par traducteurs interposés. Vers la fin, Luis, syndicaliste, se lance dans un projet insensé : amener tous les chômeurs portugais à se baigner ensemble dans la mer pour commencer la nouvelle année par un renouveau positif. On dresse également le portrait de quatre travailleurs au chômage qui sont surnommés « les magnifiques. » Ce respect global pour toute forme d’imaginaire confère un aspect presque mystique au film. Ce premier volume, dont Gomes révèle qu’il s’est construit au montage, oppose au malheur un tel foisonnement romanesque qu’il en devient envoûtant.

Fort de tous ces éléments, le premier volume des Mille et une nuits prend la forme d’un film enchanteur. Un conte en liberté sur une population portugaise fière et désolée. Face à la crise et au manque d’argent, la vraie richesse du peuple portugais réside dans ce pouvoir de rêver, parfois d’avoir peur et de réinventer sans cesse un quotidien moribond.

 

Le volume 3 n’est pas encore sorti, mais Miguel Gomes en livre quelques éléments intéressants : ‘’Je savais bien que L’Enchanté était un film sur la transmission, sur ces pinsonneurs qui apprennent à chanter aux oiseaux, sur Schéhérazade qui ne veut plus raconter d’histoires, donc qui ne veut plus transmettre... Je savais aussi que c’était un film sur l’articulation entre celui qui raconte et ce qui est raconté, entre les classes dominantes et le peuple. Mais j’ai découvert quelque chose qui a fait que l’on a changé de titre : le 3ème volume s’intitulait initialement La Mémoire. On a finalement décidé que ce serait L’Enchanté parce qu’il y a cette idée que le Roi est enchanté par les histoires de Schéhérazade et que ça lui permet de survivre ; que les pinsonneurs sont enchantés par le chant des oiseaux... mais j’ai surtout compris que c’était un film sur la beauté, que ce 3ème volume est une quête de la beauté malgré la diversité de ses formes. Les oiseaux sont dans des cages, tout le monde est prisonnier dans ce film, comme Schéhérazade est prisonnière du sultan, comme les pinsonneurs qui ne font pas la révolution parce qu’ils sont prisonniers de leur obsession des oiseaux. Mais ils cherchent tous la beauté – par le chant des oiseaux pour les pinsonneurs, par les chansons et le plaisir sexuel pour Schéhérazade. Dans Les Mille et une Nuits, la narratrice est engagée dans une urgence à raconter des histoires, sinon elle meurt. Et dans ce troisième volume, même s’il n’y a pas de récits conventionnels avec une progression dramatique, c’est un film qui croit profondément qu’il y a toujours des histoires à raconter, qu’il y a toujours de la beauté qui peut surgir à quelque instant. Tout ça, je l’ai compris il y peu de temps…  Je suis obsédé par la question de savoir comment montrer les choses : comment avoir un rapport avec le réel mais sans passer par cette connerie qu’est le film social, qui fait trop d’effort pour convaincre le spectateur qu’il est en train de regarder la réalité, alors qu’il est simplement en train de l’illustrer avec des idées. Je veux montrer la matière du réel sans renoncer à la fantaisie, alors qu’habituellement, on oppose le réel et l’imaginaire. Je veux mélanger au réel la plus sauvage des fictions, où des animaux peuvent parler, ou des choses incroyables peuvent se dérouler en même temps que la réalité, sans trahir l’un ou l’autre. C’était ma question principale dans Les Mille et Une Nuits.’’

 

 

 

Claude D’Arcier - septembre 2015

 

 


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