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Notre Foi renouvelée / Réaction d'expert

 

 

Jésus homme façonné par la culture de son peuple
         

 

      Comme tout homme, Jésus a été façonné par une culture qui avait ses ombres et ses lumières. Il s'est humanisé dans et par cette culture, tout en continuant à la faire vivre et à la faire évoluer. Il a vécu dans un contexte culturel marquée par l’occupation romaine et que d’autre part le judaïsme ‘ palestinien ‘ était d’une grande diversité : pharisiens, esséniens, sadducéens et grands prêtres, baptistes, zélotes. On sait aussi que cette diversité était largement représentée au sein même du groupe des Douze. Notre époque, contrairement à ce qui s’écrivait il y a quelques années, est particulièrement sensible à la judéité de Jésus et à son enracinement dans le judaïsme. D’une certaine manière on pourrait dire qu’il était tellement dans sa culture qu'il a provoqué des ruptures, assez profondes pour que certains décident de le faire taire.

      Ainsi dans sa relation à Celui qu’il nomme ‘Père’, Jésus dévoile une telle intimité que, pour certains, il a perdu le sens de la transcendance. Il considère que sa mission est d’abord de rassembler les enfants dispersés de la maison d'Israël, mais il se laisse surprendre par la foi audacieuse de l'officier Romain… il se laisse même ‘déplacer’ par celle de la Syro phénicienne qui demande à avoir part à la table des enfants d'Abraham, tout en restant la païenne qu'elle est… Jésus s'ouvre jusqu'à l'extrême à l'amour universel de Dieu son Père, déjà annoncé par des prophètes comme Isaïe. Ainsi sans forcer les textes, on peut remarquer que la rencontre de personnes d’autres cultures correspond souvent à une vision nouvelle et à un élargissement de sa propre mission, y compris quand il existe un contentieux historique entre sa culture juive et celle de l'autre : les Romains ne sont-ils pas des occupants ? Et les Syro phéniciens des voisins religieusement et politiquement dangereux depuis toujours ?…

       Dans toutes les mémoires est inscrite la scène où Jésus démasque ceux qui n'hésitent pas à utiliser la monnaie romaine pour leur vie quotidienne, mais se font des scrupules de payer leurs impôts à l'Empereur par crainte de commettre un sacrilège : "Esprits faussés ! Ce qui est à César, rendez-le à César ; et ce qui est à Dieu rendez-le à Dieu !" Dérangeante lucidité. Jésus, ne remet pas tant en cause l'ordre politique et économique qu'il ne met le doigt sur une attitude incohérente qui permet toutes les compromissions. Libre à chacun de faire la vérité avec lui-même et de trouver son propre chemin dans le problème que lui pose la cohabitation avec les Romains.

       Mais on ne pourrait ici passer sous silence l'une des manières les plus originales par lesquelles Jésus va au cœur de la culture de son peuple, au risque de la bousculer et de provoquer certaines ruptures : les paraboles, ces paraboles où l'on peut entrevoir son âme d’artiste. Pour exprimer le mystère de la vie, pour faire découvrir le vrai visage de Dieu son Père, Jésus sait inventer ou réinventer des paraboles : ce langage symbolique dont les gens du Proche-Orient sont friands. Jésus y excelle, il s'y révèle même génial.

       Dans ses paraboles, Jésus ressemble à l'artiste qui essaye d’exprimer dans une œuvre ce qu’il ressent et ce qu’il pense du monde, des hommes, de son expérience avec Dieu. En inventant des paraboles ou en enrichissant des paraboles existantes, il révèle son âme d’artiste : par une petite histoire très simple, accessible à tous, mais d'une grande puissance d'évocation et d'une certaine beauté, il atteint le cœur de l’autre. Tous ceux et celles qui ont découvert Jésus peuvent le dire : quoi de plus beau qu’une parole capable d'atteindre avec respect le cœur de l’autre, quand cette parole est l'expression d’un amour humble et discret ?

      La parabole est un "genre littéraire" audacieux. Comme une œuvre d'art, elle ne se laisse enfermer ni dans des définitions ni dans des ‘leçons’, elle est inépuisable ; on risque aussi de l'interpréter de travers ou tout bonnement de ne pas la comprendre. En utilisant la parabole, Jésus privilégie l’image sur la Parole si chère au judaïsme. Il bouscule la culture ambiante et prépare son peuple à accueillir une réalité nouvelle, absolument imprévisible : lui, Jésus, cet homme, est l'image visible du Père, le Verbe de Dieu fait chair... En privilégiant des paraboles où le père de famille tient une grande place, Jésus prépare son peuple à voir en Dieu non pas d’abord le Tout-Puissant, le Juge craint, mais le père de famille attentif à ses enfants et les aimant sans mesure.

      On peut encore remarquer que Jésus ne se met jamais au centre du récit. Au centre, c'est son Père ou son Règne, et la liberté des auditeurs. Si Jésus est au cœur de la révélation du Père il n’en est pas le centre. La parabole détourne en quelque sorte l’auditeur de celui qui raconte en dirigeant son regard vers un « Autre », dont le comportement touche et déconcerte en même temps. Parfois, sans en avoir l'air, ses paraboles laissent même entendre que Jésus a une connaissance évidente de ce qui se passe 'en' Dieu, de ses sentiments : il sait la joie du cœur de Dieu quand l'un de ses enfants revient à lui Voir les trois paraboles dites "de la miséricorde" en Luc 15… Quant aux auditeurs, ils se trouvent renvoyés à eux-mêmes par le récit : comment reçoivent-ils cette petite histoire, aussi simple que déroutante ? Que l'on pense, par exemple, à la parabole intentionnellement ‘scandaleuse’ des ouvriers de la onzième heure...

       Dans ses paraboles, Jésus dévoile un Dieu familier et désacralisé. Il voudrait que les autres aient accès à sa propre expérience du Père. Il voudrait qu'ils marchent avec lui dans ce Règne de Dieu - ou ce Royaume - qui est là, tout proche. Mais il laisse un chemin se faire dans le cœur de l’autre, qui reste totalement libre. Par ses paraboles, il invite ses disciples et ses auditeurs à s’initier par la pratique et avec intelligence à sa propre expérience de Dieu.

       Est-ce un hasard ou une donnée de la pédagogie divine, chère à Irénée, si l’apogée de la révélation chrétienne dans l’incarnation du Verbe s’accomplit à une époque où ont lieu de profonds bouleversements culturels dans l’ensemble du bassin méditerranéen ? Si la révélation chrétienne est révélation ‘dans l’histoire’ et si les chemins de l'unité passent par la diversité, les périodes de brassage de cultures ne peuvent-elles pas être les plus propices : ces « moments favorables » où l’histoire du salut devient plus manifeste ?

Avril 2010

 

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Peinture de V. Gayet